La réalité derrière l’Exorcisme d’Emily Rose
"Tiré de faits réels" dans le cas d'une affaire paranormale, ça veut dire quoi ?
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Après avoir compris comment la fiction - en l’occurrence une série Netflix - pouvait jouer un rôle dans l’avenir juridique bien réel des tueurs en série les frères Menendez, questionnons la mention “Tiré de faits réels” dans cette nouvelle édition écrite par
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L’imaginaire s’oppose intrinsèquement à la réalité. C’est non seulement de la fiction, mais aussi un récit qui repose sur des éléments que l’on n’a jamais pu observer et qu’on ne peut pas démontrer par la raison.
Il prend diverses formes dont voici les plus courantes :
La magie qui est souvent à l’origine de la fantasy
Le progrès technologique qui conduit à la science-fiction
Le paranormal qui produit des récits d’épouvante et de fantastique
Pourtant, dans l’imaginaire aussi il y a toujours un fond de réalité.
Personne ne peut créer quelque chose d’entièrement inédit, parce que la création c’est l’agrégation des connus.
Même les histoires les plus éloignées de notre vérité en comportent un peu. Il peut s’agir d’un lieu, d’un système économique, législatif ou politique, d’un profil social ou d’une culture.
Prenons un film pour exemple : L’Exorcisme d’Emily Rose (2004), de Scott Derrickson. Il met en scène des choses qui relèvent de la croyance et non des faits, tout en s’appuyant sur “une histoire vraie”.
Laissez-moi vous montrer en quoi c’est un choix délibérément artistique (et idéologique).
L’Exorcisme d’Emily Rose, ça raconte quoi ?
Commençons par le synopsis.
Emily Rose quitte sa province pour aller étudier à l'université. Une nuit, seule dans sa chambre d'étudiante, elle est la proie d'hallucinations et d'une rencontre surnaturelle qui la laissera épouvantée. Convaincue qu'elle est harcelée par les forces démoniaques, Emily sombre peu à peu, victime de symptômes de plus en plus spectaculaires. Perdue et terrifiée, elle demande au prêtre de sa paroisse, le père Richard Moore, de l'exorciser. Au terme du combat contre sa possession, la jeune femme trouve la mort. Accusé d'homicide par imprudence, le père Moore se retrouve au cœur d'un procès qui va ébranler les convictions de tous.
Scott Derrickson a réalisé ce film en 2005. Il met clairement au centre de l’intrigue le procès d’un prêtre pour questionner la légitimité de la pratique de l’exorcisme en la confrontant à un avis scientifique et médical.
Je comprends que l’objectif du film n’est pas de faire peur par l’image (quoiqu’il y a des ressort effrayants, notamment le jeu d’actrice de Jennifer Carpenter), mais d’effrayer par la possibilité que le Diable puisse exister et effectivement posséder des êtres humains.
Il est question de faire naître le doute chez les spectateur·ices, en prenant l’angle de la justice qui donne de la crédibilité à la religion dans sa capacité à être responsable des troubles d’Emily Rose. Le père Moore est accusé de négligence médicale.
Et pour que le message soit plus fort et qu’il fonctionne sur les spectateur·ice, le réalisateur a choisi d’adapter au cinéma l’histoire vraie de l’allemande Anneliese Michel.
Les faits derrière la fiction
Anneliese était très pieuse. C’est dans les année 1960, alors âgée de 15 ans, qu’elle commence à être victime de crises. Des médecins les identifient comme étant de l’épilepsie. Sur ce diagnostic, elle est envoyée en hôpital psychiatrique pour recevoir un traitement en conséquence.
Mais son état ne s’arrangea pas avec les années… Au bout de 5 ans, elle laisse les médecins impuissants après des confessions de visions démoniaques.
En 1973, alors qu’elle a 20 ans, ses parents ont recours à des prêtres et demandent à ce qu’elle se fasse exorciser.
On s’arrête deux secondes sur l’exorcisme, voulez-vous ?
Selon Wikipédia :
L'exorcisme est un rituel religieux destiné à expulser un esprit maléfique qui s'est emparé d'un être humain ou d'un animal, d'un lieu ou d'un objet.
Il s’agirait d’une pratique qui a précédé le christianisme et qui est présent dans l’Ancien Testament.
Le rituel dit “romain” indique les critères à vérifier chez le sujet d’un exorcisme avant de le pratiquer :
Pour être possédé, un individu doit comprendre ou parler des langues inconnues, souvent mortes. En deuxième lieu, il doit connaître des faits cachés. Enfin, il doit montrer un décuplement de ses forces.
Cependant, ce rituel a subi plusieurs réécriture. Quelques années avant l’affaire Anneliese Michel, le texte précise que ces 3 critères ne sont pas exclusifs et qu’il faut prendre en compte d’autres symptômes comme l’aversion pour Dieu. Surtout, avec l’évolution de la médecine psychique, on se doit d’être plus attentif pour ne pas confondre possession, obsession et troubles mentaux.
Pour en revenir à Anneliese. À partir de 1975, on pratique sur elle un à deux exorcismes chaque semaine. Le jour de son 67e exorcisme, elle souffre d'une pneumonie, a le visage émacié et est brûlante de fièvre. Elle meurt le lendemain.
Les légistes établirent une malnutrition et une déshydratation sévères. La faute à qui : au Diable ou au prête ?
Vous comprenez mieux pourquoi ça vaut le coup d’en faire un film de procès.
Un autre point de vue
Là où Scott Derrickson cherchait à remettre la balle au centre entre science et religion, deux ans plus tard, Hans-Christian Schmid réalise Requiem, un film également adapté de l’affreuse histoire d’Anneliese, pour pointer du doigt la grossière erreur des croyants pratiquants.
Voici le synopsis :
1970, Michaela, 21 ans, grandit dans une petite ville du sud de l'Allemagne entre un père faible et affectueux et une mère autoritaire.
Depuis de nombreuses années, Michaela souffre d'épilepsie et rêve de reprendre ses études à l'université. Elle y découvre la liberté, l'amitié d'Hannah et un amour naissant pour Stephan.
De nouvelles attaques épileptiques plus violentes que les précédentes lui font entendre des voix et lui révèlent d'inquiétantes apparitions. Craignant d'être renvoyée dans sa famille, Michaela consulte un prêtre. Il la persuade qu'elle est possédée par des forces démoniaques.
S'opposant à l'homme d'église, ses amis, l'incitent à se faire soigner, mais se trouvent impuissants face aux convictions religieuses et familiales. Prise entre psychiatrie et exorcisme, Michaela subit un destin tragique.
Au lieu d’interroger les faits après le drame, H-C Schmid choisit d’adapter le vécu d’Anneliese par le biais du personnage de Michaela (incarnée par Sandra Hüller, actrice principale de l’Anatomie d’une chute (2023) multi-primé).
Ce deuxième film est étiqueté comme étant un drame, là où les américains avaient fait leur marketing et choisi l’angle du mauvais ”genre” qu’est l’épouvante.
Face à un récit de vie ordinaire, où le fantastique n’est jamais avéré et naît des propres croyances des spectateur·ices, c’est à elleux de se faire un avis à la fin. Pas de réponse toute faite, mais un biais sceptique tout de même.
Ca veut dire quoi “inspiré de faits réels” ?
C’est devenu un argument marketing puis une banalité tant “Tiré d’une histoire vraie” ou “Inspiré de faits réels” sont des phrases couramment indiquées dès la bande-annonce.
Dans le monde du film d’horreur, c’est parfois même un mensonge.
Le pire, c’est que cette notification peut regrouper différents degrés de proximité avec la vérité.
Par exemple, un biopic est tiré d’une histoire vraie, mais n’est pas un documentaire pour autant, il laisse place à l’interprétation. C’est le cas de Bohemian Rhapsody (2018) qui est présenté comme le récit de la vie de Freddy Mercury et de son groupe de musique Queen. Pourtant, il ment sur bien des aspects. Un utilisateur de SensCritique qui connaît bien la biographie de Freddy s’est montré outré :
Tout scénariste d'un tel projet est obligé d'opérer de nombreux raccourcis pour synthétiser la trajectoire, rythmer la tragédie et condenser l'émotion. Pour autant, certaines facilités étonnent immédiatement, comme de prétendre que Freddie a rencontré le groupe qui allait devenir Queen le soir même où ce dernier se séparait de son chanteur précédent, s'est fait embaucher dans la foulée, tout en rencontrant celle qui allait devenir sa styliste et sa love of his life.
De la même façon, on peut se demander quel crédit accorder aux films inspirés des exorcismes d’Anneliese Michel dont je vous ai parlé. Ses visions, les voix qu’elle entendait, ses crises, le ressenti de ses parents, les actes du prêtre, etc. Tout est interprété par les cinéastes.
Il y a des similitudes avec Annelise Michel, mais son parcours n'est pas le même. Requiem ne se veut ni un documentaire, ni une biographie. Nous avons surtout cherché à parler d'un phénomène bien spécifique, même si quand on écrit un scénario tiré d'événements réels, on ne peut pas se désintéresser des sentiments des gens dont on s'inspire et des raisons de leurs actes. - Hans-Christian Schmid
J’ai moi-même relevé des différences importantes entre l’histoire d’Anneliese, celle d’Emily Rose et celle de Michaela. Par exemple, Anneliese subit 67 exorcismes, Emily Rose n’en subit qu’un seul, violent, et meurt le lendemain. Le petit ami d’Emily Rose est témoin de la possession de celle-ci, il est du côté du prêtre, alors que le petit ami de Michaela et ses autres amis essaient de la convaincre de prendre un traitement médical.
Quoi croire ?
Là n’est pas du tout la question.
L’important, c’est que le fantastique repose toujours sur un contrat entre le·a créateur·ice et les récepteur·ices
Personnellement, je ne donnerai pas plus de crédit et je n’aurai pas davantage peur d’un récit soit disant inspiré d’événements réels que d’une parfaite invention “totalement” fictive (même si rien n’est totalement fictif, on l’a dit).
Seul le réalisme de l’histoire compte.
Et le réalisme ce n’est pas forcément la vraisemblance, c’est surtout :
le fait de pouvoir s’identifier à Emily Rose ou Michaela dont les crises créent la solitude et l’isolement ;
la mise en scène avec tout ce que ça implique de choix artistiques (lieux, tenues, jeu d’acteur, etc) ;
l’immersion par le jeu de caméra.
Qu’importe ce qu’Annelise a vraiment vécu, le film ne cherche pas à retracer une vérité, mais à donner un point de vue et à emmener celleux qui le visionnent avec lui.
On peut en discuter en commentaire si ça vous dit. Je sais que la mention “tiré de faits réels” interpelle toujours mes parents et mes beaux-parents, comme si ça changeait quelque chose. Mais j’ignore pourquoi et je ne me risquerait pas à faire de la psychanalyse de comptoir.
Sinon, je vous dis à bientôt ici !
Ça c'est un point de vue étayé ! Merci pour ton retour d'expérience. Je ne crois pas avoir lu beaucoup de romans tirés de faits réels, si ce n'est aucun, en tout cas qui soit assumé ainsi, parce qu'en soit chaque histoire fictionnelle couchée sur le papier a des chances d'être empreint de la réalité vécue par l'auteur.ice. Je pense à Stephen King qui fait écrit un héro écrivain et alcoolique dans Shining.
C'est intéressant de voir comment le genre peur faire pencher ton choix dans la balance en tout cas.
Merci pour cet article Amélie.
Je crois que la mention "tiré de faits réels" m'influence quelque peu. Mais que ça dépend un peu du genre du film ou du récit.
Pour les thrillers et genres de l'horreur, j'ai tendance à penser que les faits réels vont être pires en terme de violence et de perversion que des faits imaginaires. En gros que la réalité dépasse la fiction dans le glauque et le sordide. Et je n'y vais pas
Pour les films plus "feel good" ou initiatiques, la mention "inspiré de faits réels" m'influence moins. Je pense à des films comme Rasta Rockett ou Eddy the Eagle (que j'adore) qui retracent des parcours sportifs atypiques réels mais passés à la moulinette de la fiction.
Par contre pour les romans, je n'aime pas quand on me fait passer un récit relatant des faits historiques comme un roman. Surtout quand le livre n'a aucun des codes du roman.
Dernièrement, j'ai tenté de lire les naufragés de l'Ile Tromelin d'Irène Frain. Bah ça l'a pas fait.
Le bouquin est présenté comme un roman mais ne comporte aucune caractérisation des personnages, aucun dialogue. C'est d'une platitude exaspérante. Mais les témoignages historiques sont respectés.
Et le pire c'est que les évènements sont tragiques. On voudrait ressentir de l'émotion, de l'empathie pour ces humains réels, victimes et bourreaux. Mais comme je n'ai rien ressenti d'autre qu'un profond ennui, j'ai culpabilisé.
A l'inverse, Terreur de Dan Simmons s'appuie sur le naufrage du HMS Terror lors de la recherche du passage du Nord Ouest. S'appuyant sur des documents historiques, l'auteur romantise et fictionne à fond et c'est beaucoup plus réussi. Là on y croit. Même quand ça devient incroyable et que le roman tourne au fantastique.